Fédéralisme et fiscalité

Le fédéralisme est le noyau de notre système étatique et constitue un des principes fondamentaux qui caractérise l’ordre constitutionnel suisse. À l’intérieur du système fiscal suisse, on retrouve une triple souveraineté fiscale avec des impôts prélevés à trois niveaux distincts : au niveau fédéral, cantonal et communal1. Chacune de ces entités possède leur propre souveraineté fiscale, soit le droit de percevoir des impôts et utiliser librement les recettes qui en découlent.

Le fédéralisme est fondé sur l’indépendance et l’autonomie des cantons. La répartition des compétences entre la Confédération et les cantons se trouve à l’art. 3 Cst.2 qui prévoit que « les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération ». Dès lors, la Confédération est autorisée à prélever un impôt uniquement lorsque la Constitution fédérale l’y autorise de manière expresse3. On y trouve un catalogue entier de compétences fédérales en matière fiscale. Les cantons sont ainsi détenteurs de la souveraineté originelle. En raison de leur compétence générale en matière fiscale, les 26 cantons ont une grande autonomie et sont libres d’agencer leur régime fiscal cantonal dans la limite du droit fédéral. Chacun des cantons possède sa propre législation et de ce fait, il existe 26 manières différentes de taxer les revenus, les fortunes, les successions et toute autre matière fiscale. Les barèmes fiscaux sont également très différents d’un canton à l’autre, de sorte que la charge fiscale peut présenter des divergences importantes suivant le canton de domicile4. En vertu de l’art. 128 al. 2 et 129 Cst., le droit attribué à la Confédération de prélever un impôt sur le revenu des personnes physiques, sur le bénéfice et le capital des personnes morales constitue une compétence parallèle de la Confédération et des cantons5. De plus, la Confédération a une compétence d’harmonisation et c’est sur cette base que le législateur a établi la LHID6, entrée en vigueur le 1er janvier 1993, dans laquelle nous retrouvons tout un catalogue des impôts devant être prélevés par les cantons. D’autres impôts, tels que les impôts sur les successions et les donations, n’ont fait l’objet d’aucune harmonisation, de sorte que les cantons et les communes disposent d’une liberté presque totale en la matière.

À travers la LHID, le législateur fédéral a montré sa volonté de réaliser l’harmonisation des régimes fiscaux sur le plan horizontal (entre les cantons eux-mêmes d’une part, puis dans le canton et entre les communes elles-mêmes d’autre part) et sur le plan vertical (entre la Confédération elle-même et les cantons, respectivement entre les cantons et les communes)7. La LHID caractérise parfaitement l’idée de l’harmonisation horizontale entre les cantons tandis que l’harmonisation verticale se reflète par la LHID et la LIFD8 qui contiennent des dispositions similaires et coïncident en de nombreux points, dans la mesure où elles ne règlent pas différemment les questions fiscales fondamentales9. Le respect de l’harmonisation verticale suppose une concordance entre les impôts directs de la Confédération et ceux des cantons10.

Selon le Tribunal fédéral, « l’harmonisation fiscale vise un ajustement réciproque des impôts directs de la Confédération et des cantons, une plus grande transparence du système fiscal suisse et une simplification de la taxation, tout en ménageant le plus possible l’autonomie – en particulier financière – des cantons. Elle ne doit pas conduire à une uniformisation des systèmes fiscaux, mais à leur coordination sur la base du principe de subsidiarité (art. 46 al. 2 Cst.) »11. En vertu de ce principe, la Confédération ne doit pas s’octroyer des tâches que les cantons pourraient exécuter par eux-mêmes et qui par ailleurs ne nécessiteraient pas d’être absolument unifiées au niveau fédéral12. En d’autres termes, elle ne doit pas sans raison valable limiter la marge de manœuvre des cantons. À chaque fois qu’il en est possible, l’objet d’une règlementation doit prendre en compte les disparités cantonales et régionales existantes telles que les particularités d’ordre social, économique et culturel13.

Malgré l’harmonisation fiscale formelle, les cantons gardent une très grande liberté dans la mesure où ils restent compétents pour la fixation des barèmes, des taux et des montants exonérés de l’impôt (art. 1 al. 3 LHID), respectivement la charge fiscale14. Les déductions sociales font partie du barème et la possibilité d’en introduire est réservée aux cantons (art. 9 al. 4 LHID).

En somme, le fédéralisme constitue un élément central et indispensable dans l’organisation du droit fiscal en Suisse. En permettant une répartition des compétences entre la Confédération, les cantons et les communes, il garantit une autonomie fiscale importante à chaque niveau, offrant ainsi aux cantons une souveraineté originelle en matière d’imposition. Cette autonomie permet à la fois aux cantons de gérer leurs propres régimes fiscaux et les adapter aux spécificités de chacun, tout en respectant les exigences d’harmonisation posées par la Confédération. Bien que cette harmonisation soit nécessaire pour garantir une cohésion nationale, elle ne cherche pas à uniformiser les systèmes fiscaux mais à les coordonner, laissant aux cantons, de manière volontaire, une marge de manœuvre étendue. Tout en respectant le principe de subsidiarité, le fédéralisme suisse favorise non seulement la diversité des systèmes fiscaux, mais également une certaine concurrence entre les cantons qu’il est nécessaire de maintenir et perpétuée15.

Sancie Latécoère

Assistante-Doctorante

Université de Genève

publié le 19.09.2024


  1. Oberson Xavier, Droit fiscal Suisse, 5e éd., Bâle (Helbing Lichtenhahn) 2021, § 2 N 1. ↩︎
  2. Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, RS 101. ↩︎
  3. Reich Markus, Steuerrecht, 3e éd., Zurich, Bâle, Genève, 2020, p. 51 N 4. ↩︎
  4. Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts (CSI), Impôt sur la fortune des personnes physiques (état au 1er janvier 2021), p. 2. ↩︎
  5. Oberson, op. cit. (note 1) § 2 N 4. ↩︎
  6. Loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID) RS 642.14. ↩︎
  7. ATF 130 II 65 consid. 5.2 p. 73 ; pour un exemple d’interprétation de la LIFD en relation avec la LHID, voir ATF 130 II 65 consid. 6.2 p. 77 ;  Reich, op. cit. (note 2) , p. 88 N 139, soutient qu’en plus de l’harmonisation horizontale, une harmonisation verticale entre les impôts cantonaux et les impôts fédéraux était effectivement souhaitable. ↩︎
  8. Loi fédérale sur l’impôt fédéral direct (LIFD) du 14 décembre 1990, RS 642.11. ↩︎
  9. Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts (CSI), Harmonisation fiscale (état au 1er janvier 2022), p. 4. ↩︎
  10. ATF 130 II 65 consid.  6.2/6.3 p. 77 et s. ; Arrêt du TF 2P.204/2006 du 21 mai 2007 consid. 6 et les références citées. ↩︎
  11. Selon l’art. 46 al. 2 aCst. RO I 1, la législation fédérale statuera les dispositions nécessaires en vue de l’application de ce principe et pour empêcher qu’un citoyen ne soit imposé à double ; ATF 128 II 56 consid. 6a p. 64. ↩︎
  12. Le Tribunal fédéral (ATF 128 II 56 consid. 6a p. 64) précise que l’harmonisation fiscale ne doit pas conduire à une uniformisation des systèmes fiscaux, mais à leur coordination sur la base du principe de subsidiarité. ↩︎
  13. Message du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1, p. 214. ↩︎
  14. Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts (CSI), Harmonisation fiscale (état au 1er janvier 2022), p. 6. ↩︎
  15. En faveur de la concurrence fiscale voir ATF 133 I 206 consid. 10.2 publié à la RDAF 2007 II 505 p. 526 ; Message du Conseil fédéral du 14 novembre 2001 concernant la Réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT), FF 2002 2155, p. 2171 ; Oberson, Xavier, La concurrence fiscale à l’intérieur de la Suisse : un petit laboratoire expérimental pour la fiscalité européenne ?, in : Fiscalité et entreprise, politiques et pratiques : Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Le Gall, 2007, p. 434 ; DFF, communiqué du 17 mars 2006, le Conseil fédéral défend la concurrence fiscale [à l’intérieur de la Suisse]. Celui-ci refuse de restreindre l’autonomie des cantons concernant les barèmes fiscaux et s’est toujours opposé à une harmonisation matérielle des impôts ; dans le même sens Auer Andreas/Malinverni Giorgio/Hottelier Michel, Droit constitutionnel suisse, vol. I, L’Etat, 4e éd., Berne, 2021, p. 464 N 1271. ↩︎