Oui, la santé a besoin de fédéralisme !

Les journalistes aiment parfois les phrases chocs et les solution simples. Ainsi, la hausses des primes maladies prévues en 2024, aura donné l’idée à certain de remettre en question le fédéralisme lui-même.

« Ultime tabou helvétique, le fédéralisme doit être remis en question. La dilution du pouvoir de décision freine la plupart des évolutions efficientes. Impossible de causer santé avec un canton sans qu’il fustige la Confédération, et vice versa. Planification hospitalière, réseaux de soins, clause du besoin en matière de nouveaux cabinets: autant de leviers qui devraient être actionnés à l’échelon fédéral. » Nicole Lamon, Pour un coup de pied dans la gouvernance de la santé, Le Temps (papier) 27.09.24.

Si des modifications dans la gestion des coûts et des soins sont probablement souhaitables, la « remise en question du fédéralisme » ne l’est pas. En effet, celle-ci s’accompagnera forcément d’un déplacement de compétence des cantons à la Confédération1. Si l’auteur espère ainsi gagner en efficience, c’est à dire économiser de l’argent, elle ne se prononce pas sur les économies qui devront être décidées d’en haut. Une planification hospitalière plus efficiente, c’est peut être aussi moins d’hôpitaux, moins de centres de soins, moins de prestations pour les patientes et les patients. Le fédéralisme permet en effet aujourd’hui aux cantons de choisir2, et de payer avec leurs impôts3, la couverture hospitalière dont ils ont besoins4. Il serait dommage d’enlever aux populations des cantons leur liberté de décider, par le biais de leurs représentants ou lors de votations, de leur couverture de soins5.

De plus, les cantons sont déjà à la manœuvre pour réglementer le nombre de médecins admis à pratiquer dans certaines spécialités6. Leur enlever cette compétence ne permettra probablement pas de régler définitivement cette situation, quand bien même son coût est clairement identifié7.

Si « [d]epuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal) en 1996, les
coûts de la santé ont augmenté de 83 % dans le canton de Vaud et de 73 % en moyenne nationale »8, alors que la population suisse a augmenté de moins de 30% environ dans la même période9, il pourrait également être pertinent de remettre en question l’usage que fait la Confédération de sa compétence en matière de financement des soins (art. 117 Cst.). C’est à dire de questionner le fonctionnement de la LAMal elle-même. Il ne s’agit plus d’une question simple tant ce dossier occupe la classe politique. Mais il serait honnête de s’interroger également si une diminution des compétences de la Confédération, au profit des cantons, dans la gestion des coûts de la santé et de la couverture des prestations de soins ou dans la gestion des caisses maladies10 puisse également avoir un impact positif sur les dépenses du système de santé.


Les débats sur la couverture des soins et la responsabilité des différents acteurs dans la couverture de ceux-ci sont loin d’être clos. Ainsi nous voterons en novembre 2024 sur la révision de la LAMal sur le financement uniforme des soins11. Celle-ci si elle apporte de nouveaux outils à la disposition des cantons12 sans pour autant leur donner un réel de pouvoir de contrôle sur les prestataires de soins ou sur le travail des assurances maladies. Mentionnons ainsi le peu de pouvoir dont ils disposent en matière de contrôle de l’économicité des prestations de soins13, c’est à dire le contrôle de la limitation des « prestations à la mesure exigée par l’intérêt de l’assuré et le but du traitement » (art. 56 al. 1 LAMal). Nous ne nous prononçons pas ici sur la pertinence de cette réforme, mais il parait clair que les débats sur le futur de la couverture des soins de santé sont loin d’être terminés.

Il ne sera pas simple de trouver le meilleur équilibre possible entre les besoins des différents acteurs et les intérêts en présence. Le fédéralisme comme le système de répartition des compétences mérite d’y trouver sa pleine place. Les cantons, compétents en matière d’organisation des soins, doivent être en mesure d’assumer cette responsabilité, cela implique aussi que le droit fédéral ne limite pas leur compétence outre mesure.

  1. Les fameux « leviers qui devraient être actionnés à l’échelon fédéral ». ↩︎
  2. Vu l’absence de compétence constitutionnelle de la Confédération sur le sujet, voir art. 117 ss Cst. et art. 48a al. 1 let. h Cst. ↩︎
  3. Le canton de Vaud couvre 16 à 17% des coûts totaux de la santé sur le canton (en paiement direct) : https://www.vd.ch/etat-droit-finances/statistique/statistiques-par-domaine/14-sante/couts-et-financement#c2070988 en particulier les documents Santé et soins. Chiffres-clés 2024, et Evolution des coûts de la santé en millions de francs par payeur, Vaud, depuis 1993. ↩︎
  4. L’Hôpital de la Chaux-de-Fonds, sur le canton de Neuchâtel a par exemple fait l’objet de débats démocratiques fournis : https://www.24heures.ch/la-chaux-de-fonds-conserve-un-hopital-de-soins-aigus-207974465133, avec de larges majorités contre le projet des autorités : https://www2.ne.ch/vote/2017.11.26/NE/991/EvolutionVotation.html. ↩︎
  5. Le canton de Genève a ainsi refusé une initiative sur les soins dentaires en 2019 : https://www.ge.ch/votations/20190210/cantonal/1/. ↩︎
  6. Pour une vue d’ensemble de la situation dans les cantons, voir https://curafutura.ch/fr/le-federalisme-dans-la-limitation-de-ladmission-des-medecins-cette-reglementation-doit-etre-mise-a-lepreuve/. ↩︎
  7. https://www.obsan.admin.ch/sites/default/files/2021-08/obsan_bulletin_2017-04_f.pdf. ↩︎
  8. Numerus-06-2018_Couts-sante.pdf. ↩︎
  9. La Suisse comptait 6,43 millions d’habitants en 1983 et 8,96 millions fin 2023, (28% d’augmentation) : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiken/bevoelkerung/stand-entwicklung.html, alors que la population vaudoise est elle passée de 526436 à 846 303 personnes résidentes permanente (38% d’augmentation) : Chiffres-clés annuels de la population depuis 1981 (xls, 74 Ko), sur https://www.vd.ch/etat-droit-finances/statistique/tableaux-de-synthese/population. ↩︎
  10. Faute de compétence, le Conseil d’État vaudois avait ainsi dû recommander l’annulation d’une initiative populaire cantonale visant à l’institution d’une caisse unique cantonale, « https://www.vd.ch/actualites/communiques-de-presse-de-letat-de-vaud/detail/communique/linitiative-pour-une-caisse-vaudoise-dassurance-maladie-se-heurte-au-droit-federal-1075398547.pdf (confirmé par le Grand conseil en 2004 : Pour une caisse vaudoise d’assurance maladie de base). ↩︎
  11. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/versicherungen/krankenversicherung/krankenversicherung-revisionsprojekte/parlamentarische-initiative-finanzierung-der-gesundheitsleistungen-aus-einer-hand-einfuehrung-des-monismus.html#2130832298. ↩︎
  12. https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/abstimmungen/volksabstimmung-einheitliche-finanzierung-der-leistungen.html Questions réponses (en bas de pages) > quels sont les changements du point de vue des cantons. ↩︎
  13. Anne-Sylvie Dupont, Le financement résiduel des soins de longue durée : une brèche dans le principe de l’économicité ?, in Lendfers/Gächter/Mosimann, Allegro con moto : Festschrift zum 65. Geburtstag von Ueli Kieser, Dike Verlag 2020, §43 ss ↩︎